Lucas Talbotier: _Introduction

9 - 25 March 2023
Presentation

Au terme de sa résidence à la galerie Dutko Ile Saint-Louis, nous avons le plaisir de présenter du 9 au 25 mars 2023 la première exposition personnelle de l’artiste français Lucas Talbotier. Cette exposition sera l’occasion de découvrir pour la première fois à Paris l’œuvre puissante de ce jeune peintre. 

 

Texte de Grégoire Lubineau

 

Lucas Talbotier peint le soir, lorsque l’horizon s’est refermé. Ses grandes toiles sont des paysages. Sur leur surface, il s’emploie à rendre une lumière distincte de celle des ampoules électriques sous lesquelles il travaille. Son but, je crois, est d’ouvrir un espace, le plus vaste possible, au cœur de la couleur et du geste – comme une longue respiration à la fin de la journée. Des paysages, donc, lorsque plus aucun paysage n’est visible.

 

Le format de ses tableaux, à cet égard, peut surprendre. C’est au rectangle que revient habituellement le privilège de restituer la vision horizontale qui est celle du panorama. Une forêt, une vue de montagne, un ciel agité, y trouvent volontiers leur place. Mais les toiles de Talbotier se présentent souvent comme des « faux » carré : à bien y regarder, elles sont légèrement plus hautes que larges. Un compromis, donc, et une infime impression de verticalité qui permet d’instaurer, comme ferait un portrait, une relation de corps à corps entre l’œuvre et la personne qui la regarde. Et peut-être de mieux étager, là, plusieurs grandes plages de couleurs estompées comme trois champs successifs vers l’horizon, entrecoupées à gauche d’une forme verticale venue contrarier la dynamique de l’ensemble, et qui crée ce faisant une tension en même temps qu’un point de référence pour l’œil (Hommage, 2021). Ailleurs, des grappes ou des bouquets de touches bleues crépitent de part et d’autre d’un espace blanc traité presque d’un seul bloc, en aplat, et laissant aux angles un peu de cette réserve qui permet à une composition de vraiment respirer (Untitled, 2022). Ailleurs encore, une nappe épaisse, dans l’opacité de laquelle se fondent des teintes de bleu et de vert, donne l’impression d’une texture crémeuse, de nuage ou de neige. Sous elle, des éclats orangés qu’on aurait tenté d’étouffer. Leur lumière transperce pourtant la couche supérieure, et provoque la même curieuse satisfaction que celle qui nous étreint lorsque le soleil se perd, à l’horizon, derrière un nuage ou dans la condensation de la mer et se laisse, enfin, regarder en face (Les trois lignes, 2021).

 

Talbotier fait partie de cette jeune école parisienne passée par les Beaux-Arts qui, récemment, ne s’est pas embarrassée de savoir si elle était d’avant ou d’arrière-garde pour se tourner vers la peinture. Ses héros, derrière Philip Guston (1913 – 1980) et Joan Mitchell (1925 – 1992), sont aussi ceux de Lucas. En particulier, il admire la génération américaine qui commençait de s’éteindre au moment de sa naissance en 1994 : Richard Diebenkorn (1922 – 1993), Agnès Martin (1912 – 2004), Robert Ryman (1930 – 2019), ou Susan Rothenberg (1945 – 2020), par exemple. Avant eux, tout de même : Turner, Cézanne, Monet. 

 

Dans leur sillage, Lucas adopte une approche picturale réflexive, c’est-à-dire à la fois soucieuse des formes et des couleurs pour elles-mêmes – d’harmonie, pourrait-on dire, dans la grande tradition classique, et en même temps désireuse de remettre en question l’intérêt qu’elles suscitent en les révélant d’emblée pour ce qu’elles sont au fond, en dehors de toute référence ou de sujet : un peu d’huile et un peu de couleur sur un morceau de textile tendu. 

 

Ses œuvres témoignent d’une technique qui revient aux fondamentaux de la peinture, avant les tubes et les couleurs de synthèse : il broie lui-même ses pigments, et ponce ses préparations à la main. D’où cet aspect de fresque, parfois, et cette fragilité apparente d’une peinture qui se veut minérale malgré la gestualité et la force qu’elle cherche à dire. La lente respiration de l’Europe en même temps que le souffle effréné de l’Amérique. Le temps, figé et en mouvement, comme dans un tableau.

 

Il y a ensuite, dans la structure des toiles que peint Lucas Talbotier – je veux dire dans leur composition, une succession d’affrontements qui expriment un doute, une tension permanente : aux couleurs puissantes des pigments purs répond une volonté d’estompement, de recouvrement pâle des teintes trop vives ; à la continuité des formes cohérentes, unifiées dans l’harmonie de blocs soigneusement assemblés, répond ensuite un besoin de dissonance qui se traduit par l’ajout de formes qui cassent les dynamiques d’ensembles : des lignes horizontales qui interrompent les schémas obliques ou verticaux, par exemple ; et aux grands gestes sereins qui donnent leur armatures aux toiles répond enfin une saccade de petites touches qui traduisent une temporalité plus agitée.

 

C’est un bosquet d’arbres qu’on a vu en passant à 100 kilomètres à l’heure sur une route de forêt, dont on n’a pas suffisamment eu le temps d’apprécier l’agencement dans la brume qui, ce matin, était déchirée de raies lumineuses. On aurait voulu pouvoir s’arrêter pour admirer longtemps le spectacle de la nature qui s’éveille. C’est un immense bloc de mer qui s’est ouvert progressivement sous nos pieds alors qu’on approchait du bord de la falaise aux côtés d’une personne qu’on aimait : contre nos chaussures, des bruyères sauvages embrassaient les vagues tout en bas. Le bleu avait fini par envahir tout l’espace. C’est la plage d’un pays lointain sur laquelle on marchait. Quelques rochers obstruaient l’horizon. Un nuage est passé et toutes les couleurs ont changé. 

 

Qu’en reste-t-il ? Seulement quelques couches de peinture qui tentent peut-être d’imiter un souvenir. 

 

 

A PROPOS DE LUCAS TALBOTIER

 

Lucas Talbotier est né en 1994 à Paris, France. Après une enfance passée à l’étranger, en Chine et en Afrique du Sud, il étudie à la Rhode Island School of Design (USA) en 2017, puis obtient le diplôme des Beaux-Arts de Paris en 2018. Il vit et travaille aujourd’hui à Paris.

 

2023, _Introduction, Galerie Dutko, Paris ; 2022, ART PARIS, Galerie Dutko ; 2018, MFA Show, Beaux-Arts Paris ; 2018, Studio Group Show James Rielly, Beaux-Arts de Paris ; 2017, Painting Group Show, Rhode Island School of Design Providence (USA) ; 2016, «Biome», Jola Sidi, Paris, France BFA Show, Beaux-Arts Paris ; 2015, Studio Group Show James Rielly, Beaux-Arts de Paris ; 2014, Studio Group Show « You’re so Young » James Rielly, Beaux-Arts de Paris ; 2014, Artagon Group Show, Galerie Hausseguy & Hotel de Silhouette, Biarritz. 

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